Julien Richard-Thomson a participé à une table-ronde sur le cinéma de genre en France, organisée par les revues Brazil et Crossroads. Animé par Mélanie Boissoneau et Benzédrine, le débat réunissait le producteur Olivier Chateau, le réalisateur Cédric Brelet Von Sydow et l’organisateur du PIFFF Cyril Despontin.
Nous publions ci-dessous des extraits de l’intervention de Julien Richard-Thomson. L’intégralité des débats est retranscrite ici.
Quelle est, d’après vous, la cause de cette « impasse du cinéma de genre » ?
Julien Richard-Thomson : Il n’y a pas d’investissement dans le film de genre. Les télés n’en veulent pas. Enfin, des films de genre français, parce que les films Américains s’importent bien. Les producteurs n’investissent pas dans les films de genre. Les institutions nationales ou régionales ne leur donnent pas de subventions. Et forcément, c’est très difficile de faire un film sans argent. Ou alors ce sont de tout petits films, un peu comme des spécimens qui sont fait à base de bric et de broc. Il faut voir ce que cela donne, des fois c’est génial. Mais, il n’y a pas de réelle production. À part un film, ou deux, par an qui réussit à sortir. C’est effectivement un problème de financement et de diffusion. Quand tu dis qu’effectivement il y a eu des films produits par Canal+ avec sa collection French Frayeurs c’est vrai que c’était une bonne initiative qui a duré six ou sept ans, mais quand même au niveau du volume… Il y a eu une quinzaine de films seulement. Je ne considère pas que ce soit une production suffisante, cela donne à peu près deux films par an et ce n’est pas suffisant. Cela ne suffit pas pour entraîner un mouvement de réalisateurs et de techniciens. Il aurait fallu qu’il y ait dix films par an. J’ai essayé aussi de rentrer dans cette case-là des French Frayeurs, d’ailleurs j’ai presque touché au but… En France chaque équipe qui se lance dans un film de genre essuie les plâtres, réinvente l’Amérique à chaque fois. Même au niveau de la distribution, c’est toujours des spécimens et c’est toujours un peu improvisé. Il n’y a pas vraiment une industrie de films de genre en France. Alors qu’il y a des talents artistiques. Des techniciens, des maquilleurs, il y en a !
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Aller tourner aux USA ? C’est vrai que les États-Unis sont quand même les premiers fabricants de films de genre et sont très très doués. On peut avoir envie, en tant que réalisateur français, de participer à cela. Mais c’est dommage de ne pas aussi développer un cinéma de genre français. C’est ce que j’essaye de faire depuis maintenant vingt ans, mais je fatigue un peu. En essayant d’éduquer un peu des producteurs, qui souvent n’y comprennent absolument rien, et les télés… On a aussi le problème du décor en France. On se demandait tout à l’heure pourquoi les spectateurs ont peur d’aller voir des films français, ce n’est pas seulement parce qu’ils ont peur d’être déçus par la qualité, mais peut-être aussi qu’ils ont envie d’être dépaysés. Un public qui va voir un film de genre a peut-être plus envie d’être transporté au Texas ou à New York plutôt qu’à Poitiers… C’est un peu con, parce qu’on peut écrire des histoires fascinantes à Marseille, en Bretagne ou dans les Ardennes, mais il faut un peu l’écrire. Si on transplante Massacre à la tronçonneuse directement à Limoges… pas sûr que ça marche.
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Vis-à-vis des producteurs, quand on leur amène un scénario avec un élément fantastique ils considèrent, en général, que c’est une faiblesse ou une facilité d’écriture. En gros que c’est puéril. C’est ce que l’on a pu me reprocher. En général, on aime bien le début de mes films mais quand il commence à y avoir du surnaturel on s’imagine que, n’ayant plus d’idées j’ai mis un fantôme, une malédiction… Alors qu’on peut très bien aborder des thèmes sérieux, de société, d’économie, d’éthique, dans le cinéma de genre. On peut citer Romero qui est un exemple célèbre…
Plus récemment It Follows, est un film génial et bien plus profond qu’il ne paraît. Mais beaucoup de producteurs, ou de financeurs, n’arrivent pas à intégrer le fait que via ce genre on peut faire passer des messages sur notre époque, parler de sentiments humains et universels. Les choses bougent un peu quand même. Je dirais que c’est un tout petit peu plus ouvert aujourd’hui qu’il y a quinze ou vingt ans.
-Tourner sans budget ?
Julien Richard-Thomson : Faut-il tourner ces films de manière indépendante ? J’ai longtemps cru qu’il fallait faire des films, même sans argent, que c’était bien… C’est un peu différent aujourd’hui, parce que le matériel est plus accessible. On peut réaliser de manière propre avec très peu de budget. Aujourd’hui je peux comprendre qu’on tienne ce discours-là. Mais, il y a vingt-cinq ans, quand j’étais étudiant et que j’ai fait des long-métrages, ils ont été mal reçus parce qu’ils étaient dégueulasses au niveau de l’image. Ils étaient faits avec du matériel semi-pro, même pour le montage. Il n’y avait pas d’étalonnage… Enfin, bref, c’était assez merdique au niveau visuel et sonore. En plus, c’était des parodies un peu trash. Même si cela avait été des films ultra sérieux, ne serait-ce que le fait qu’ils n’étaient techniquement pas au niveau aurait joué contre moi. De nos jours on peut faire, avec un petit effort, de la belle image avec un appareil photo. C’est complètement différent. Néanmoins, je n’arrive pas à me satisfaire de l’idée que le cinéma de genre doit forcément être fait par des gens qui ne se payent pas, qui ont un métier à côté et filment le week-end… C’est rigolo quand on a vingt ans, mais au bout d’un moment ce n’est plus possible. Et surtout, cela donne parfois des films qui sont peut-être sympas, mais pas totalement aboutis. Je pense qu’il faut mettre plus de moyens. Bien sûr, les réalisateurs sont souvent individualistes, donc c’est difficile de mettre au point un vrai « mouvement ». Moi, j’essaye de pousser à créer une espèce de Nouvelle Vague du genre. Bien sûr au final, tous les films sont uniques. Quand on parle de la Nouvelle Vague, on voit bien que Truffaut et Godard n’avaient rien à voir l’un avec l’autre, mais l’étiquette donnait envie aux gens de les voir, c’était aussi un argument de vente. Il faudrait réussir à créer un truc comme ça. Encore faudrait-il qu’on soit plus de deux ou trois, donc il faudrait qu’il y ait plus de réalisateurs et producteurs désireux de bouger. Il y a des choses à faire. Faire au moins croire aux télés, à Canal ou à Arte, que ce qui se passe actuellement est important. Si on affirme que quelque chose de fou est en train de se produire alors les gens vont peut-être avoir envie de voir et l’affirmation sera réalité. C’est toute une démarche.
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Par ailleurs, je suis aussi dans une démarche qui essaye de sensibiliser divers courants, instances et personnalités politiques pour essayer de réformer l’intervention publique dans le cinéma. En essayant notamment de changer un peu les règles au niveau du CNC et des régions. Alors, je ne suis pas dans un syndicat, mais je suis un peu un syndicat à moi tout seul ! Je vais voir des députés, des gens au Ministère de la Culture et je les embête jusqu’à ce qu’ils lisent mes propositions. Je rédige un rapport dans le cadre d’un think-tank. Je propose par exemple un quota de spectateurs dans les jurys et les commissions à la fois du CNC et des régions. Car après tout, ces organismes sont financés par les spectateurs – par une taxe sur les tickets de cinéma achetés – donc cela me paraît juste que le public cinéphile ait son mot à dire.
-Qui sont les personnes siégeant dans ces commissions ?
Julien Richard-Thomson : Dans les commissions CNC (Avance sur recettes, etc) ce sont surtout des professionnels. Cela change, d’année en année, mais ce sont toujours un peu les mêmes gens qu’on retrouve. Bien sûr, je ne remets pas en cause tous leurs choix. Il y a des super films qui sont aidés par le CNC. Je ne rejette pas complètement la façon dont fonctionne le CNC car c’est quand même grâce à cette politique publique en France qu’on a une cinématographie nationale importante et beaucoup de gens qui travaillent. C’est un vrai secteur d’emploi et d’expression artistique, donc de rayonnement. Donc, encore une fois il y a du positif dans le système français, mais il y a quand même une espèce de microcosme, d’aristocratie et d’entre-soi, qu’on ne peut pas empêcher totalement mais qu’on pourrait essayer de bouger un peu. On ne pourra sûrement pas faire de miracle mais on peut changer quelques clauses dans le système d’attribution des aides. Parce qu’il y a énormément d’argent. Le CNC dispose d’un surplus de 700 millions en banque, dont il ne se sert pas. Dans les régions, il y a de l’argent aussi… Il y a de nombreuses pistes de réformes pour renforcer la diversité de la création et permettre le renouvellement des talents. Par exemple, le dossier anonyme, soumis à un jury. La commission se pencherait sur un scénario sans savoir si c’est le copain qui l’a écrit ou non. Cela laissera une chance aux débutants ou aux gens qui ne sont pas connus. Je suis un des rares réalisateurs à n’avoir jamais reçu aucun euro d’aucune commission en vingt-cinq ans. La seule fois où un de mes films a failli passer, j’avais des amis dans la commission. Donc, je l’ai testé personnellement. Quand on a des relations on peut aller très très haut. Quand on en a pas, en général, on s’arrête tout de suite…
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Dans ce secteur les lobbys sont très importants, ça bloque les réformes. Sur le sujet de la chronologie des médias, je pars du principe qu’il faudrait distinguer plusieurs catégories de films pour faire en sorte que les films qui n’ont pas vraiment accès aux salles n’aient pas à attendre des mois avant de sortir en VOD. Il y a donc pleins de choses à faire. Il faut convaincre les décideurs, mais après les syndicats de distributeurs ne sont pas forcément d’accord avec les producteurs, qui ne sont pas d’accord avec les exploitants, qui ne sont pas d’accord avec les agents, qui ne sont pas d’accord avec les scénaristes… Et c’est très compliqué !
Concernant les subventions régionales : quand on fait du film de genre, c’est encore pire car ce n’est pas vraiment un genre consensuel. Et alors là, non seulement il y a le problème du marketing qui cherche à faire un film qui plaît à un maximum de gens, diffusable en prime time, mais aussi le problème des commissions. Parce que là, surtout dans les régions, il y a des professionnels mais aussi des élus politiques dans les jurys. Je les comprends en même temps, ils sont garants de l’argent public donc ils essayent de produire des films que tout le monde peut voir. Donc, ils ont tendance à écarter tout ce qui n’est pas consensuel. Si on veut faire un film d’horreur, on a vraiment tout contre nous. Surtout en France.